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M. Yazi Dogo, comédien et homme de culture : l’artiste se raconte

Yazi Dogo (Photo : Jaloud Zainou Tangui)

IciNiger dans sa rubrique culturelle, publie 2 interviews du célèbre homme de culture nigérien, Yazi Dogo. Né vers 1942 dans le village de Maïzari situé tout près Dongondoutchi Yazi Dogo obtient une bourse d’étude en Haute Volta de la part des missionnaires de la Mission Catholique de Niamey en contrepartie d’un engagement de 10 ans à travailler pour eux à son retour. Après l’obtention de son BEPC en 1960, il revient au Niger et intègre la nouvelle école ouverte par la Mission Catholique en tant qu’enseignant, l’école primaire Canada située au quartier zongo de Niamey. 7 ans après, il demande son affectation pour l’école primaire mission de Zinder. En 1970, libéré de son engagement, Yazi Dogo intègre l’enseignement public.

 

INTERVIEW SAHEL DIMANCHE JUILLET 2011 INTERVIEW FOFO MAG – SEPT 2012
Monsieur Yazi Dogo, vous êtes un acteur culturel et aussi un vétéran de la culture nigérienne. Quel regard jetez-vous sur la culture au Niger ?  
Si l’on prend par exemple le domaine qui me concerne, à savoir le théâtre, les chants et ballets, je peux dire que cette culture est entrain d’aller à la dérive, elle perd toute son importance  parce qu’on se rend compte que ces derniers temps, elle est négligée,non seulement du côté des autorités mais aussi du côté des artistes. Il y a une raison à cela. Avant, c’est-à-dire il y a de cela 15 ou 20 ans, il y avait des opportunités pour faire des réalisations, à savoir les festivals, la semaine de la jeunesse etc. Actuellement, ces occasions ne sont plus. Avec ces opportunités, les artistes étaient obligés de créer à chaque édition des œuvres pour compétir sur le plan national.  Si je prends mon cas, si je monte une pièce de théâtre, à qui puis-je la présenter puisqu’il n’y a pas de cadre, ni d’occasion ? Vraiment, il y a beaucoup de paramètres qui font que la culture est en dérive.

Depuis quelque temps, la culture suscite un intérêt de la part des décideurs. En tant qu’acteur, comment pensez-vous qu’on puisse redynamiser ce secteur ?
Oui c’est vrai, l’on sent maintenant que les autorités commencent à prendre conscience de l’importance de la culture, qui n’est d’ailleurs pas du tout à négliger dans le développement d’un pays. Je me rappelle, dans le temps, qu’il y avait un homme politique nigérien qui avait compris dès au départ que la culture est très importante et même indispensable pour une nation. Et c’est ainsi qu’il l’a beaucoup utilisé pour marquer son temps.  Il a très bien compris que la culture permet à un pays d’évoluer positivement, de se développer.
Je disais tantôt que la culture est l’identité d’un pays ; et c’est ainsi que même les façons de s’habiller, de marcher, de préparer les mets, sont culturelles. Si par exemple, aujourd’hui l’on valorisait le ‘’béroua” ou ‘’wassa-wassa” qui est un met typiquement nigérien à base de niébé, dans les hôtels et restaurants de la place, les touristes et autres étrangers de passage à Niamey allaient apprécier ce plat. Pour redynamiser ce secteur, il faut créer des cadres de rencontres et de compétition entre les artistes. Je pense que les nouvelles autorités doivent œuvrer pour réhabiliter les festivals, la semaine de la jeunesse et les fêtes tournantes qui seront des opportunités pour permettre aux artistes de relancer davantage la culture.

Monsieur Yazi Dogo, vous êtes un grand comédien et metteur en scène. Laquelle de vos pièces de théâtre vous a plus le plus ? Laquelle vous a le plus marqué et vous a fait connaître au public, et pourquoi ?
Presque toutes les pièces de mon répertoire m’ont plu, mais il y a toujours une qui vous marque le plus. La pièce qui m’a beaucoup marqué, c’est ‘’Sodjan da”. Cette pièce raconte l’histoire d’un tirailleur de retour au pays natal et qui devient enseignant. Non seulement cette pièce m’a beaucoup plu, mais aussi elle m’a beaucoup marqué, parce que j’ai bien joué le rôle qu’on m’a confié et je l’ai interprété comme je le voulais. L’autre pièce qui m’a aussi beaucoup marqué est intitulé ‘’guirmankaye Raouanin tsiya”. Elle raconte l’histoire de ‘’Dan Mallam” ou ‘’le fils du marabout” et m’a beaucoup plu  parce qu’elle renferme plusieurs messages à l’intention du public.

Il y a quelques années, le théâtre nigérien était très développé, en témoigne la riche production d’antan. Comment cet art est-il tombé dans la léthargie tout comme son frère le cinéma ?
Bon, c’est vrai, il y a quelques années, le théâtre était très en vogue au Niger, mais maintenant, l’arrivée de la télévision a vraiment relégué à l’arrière-plan cet art qui véhicule beaucoup de messages tout en donnant des leçons de morale. Le théâtre que nous faisons actuellement, est enregistré pour être diffusé à la télévision, ce qui ne nous arrange pas, parce que nous préférons être en face d’un public qui va nous critiquer sur place, pour que nous puissions nous améliorer. Mais avec la télévision, on se met dans un coin, et en 2,  3, 4 ou 5 jours, on monte 5 pièces et on les diffuse. Maintenant, il n’y a plus d’engouement pour le théâtre puisqu’il n’y a même pas de nouvelles productions en ce sens qu’il n’existe pas d’occasion, de cadres pour faire vivre cet art. Actuellement, avec l’avènement de la télévision dans tous les foyers, même si on organise une représentation de pièce de théâtre dans une maison de la Culture, le public ne se déplace qu’en petit nombre,  parce les gens se disent que la pièce va passer un jour ou l’autre à la télévision.

Concrètement, est-ce que l’artiste peut vivre de son art au Niger ?
L’artiste peut vivre de son art s’il le fait bien. Cela veut dire par exemple que dans le domaine du théâtre, si vous montez et présentez de très belles pièces au public, même si c’est moyennant 50Fcfa l’entrée, vous pouvez gagner un peu d’argent pour subvenir à vos petits besoins. Si vous composez un bon ballet, et que vous le présentiez par exemple  à l’extérieur du Niger, vous pouvez faire de grandes recettes ; et c’est comme cela que l’art peut bien nourrir son homme.

Avez-vous une idée de comment remettre la culture en général et le théâtre en particulier sur les rails ?
Pour remettre la culture en général et le théâtre en particulier sur les rails, je l’ai déjà dis plus haut, il faut ramener les occasions de rencontres et de compétition, à savoir les festivals, la semaine de la jeunesse, les fêtes tournantes du 18 décembre, etc. C’est ainsi seulement qu’on peut permettre aux artistes de faire des recherches pour créer de belles œuvres et entreprendre des compétitions.

M. Yazi Dogo, vous avez tout donné à la culture nigérienne. Qu’est-ce que la culture vous a donné en retour ?
Personnellement la culture m’a donné beaucoup de choses. D’abord l’honneur, ensuite le respect, etc. Parce que je ne peux passer inaperçu  dans un endroit. Cela est très important. Ce n’est pas seulement le fait d’avoir de l’argent. Quand je vais dans un service pour un problème, on me le règle facilement, en tenant compte de ma vie d’artiste, de ce que j’ai fait. La culture m’a donné beaucoup en retour.

Que pensez-vous des hommages à titre posthume ?
Je n’aime pas les hommages à titre posthume. Quand on veut aider quelqu’un dans son métier, moi je trouve qu’il faut le faire de son vivant, pour que ses enfants, sa famille, son entourage,  ainsi que lui-même, puissent en profiter, en témoigner. Pour qu’il sache qu’il a bien travaillé pour son pays et qu’il a été récompensé pour cela.

Avez-vous un souhait à émettre à l’endroit des nouvelles autorités de la 7ème République ?
Le seul vœu que j’ai à émettre est que ces nouvelles autorités aient le courage politique de sauver la culture de l’impasse dans laquelle elle se trouve actuellement. Je ne critique personne, mais je me suis rendu compte qu’en général, les autorités ne donnent pas de l’importance à la culture. Plusieurs autorités se sont succédé à la tête du Ministère en charge de la culture, et l’on s’est rendu compte que seulement quelques actes concrets ont été posés à ce niveau. Il faut que les nouvelles autorités aient le courage politique de protéger la culture. C’est grave qu’un pays comme le Niger n’ait aucune troupe nationale de théâtre, de chant ou de ballet, etc. Alors même  que dans les pays voisins, vous trouverez des troupes nationales très compétitives et qui sont convoquées dès qu’une personnalité ou un Chef d’Etat arrive en visite, pour l’animation à l’aéroport ou au palais. Ici chez nous, dans la plupart des cas, tout est improvisé dans ce genre de situation. Les autorités doivent professionnaliser les différentes activités du secteur de la culture, comme cela se fait dans les pays voisins  comme le Burkina Faso par exemple. Quand il faut représenter son pays à l’extérieur, il faut le faire valablement et honorablement.

Sahel Dimanche

Quand as tu commencé le théâtre ?
Depuis mes débuts à l’école catholique. A Zinder nous avons transféré nos activités théâtrales à la MJC de la ville à la demande du directeur à l’époque afin de contribuer à l’animation de Zinder. Il faut se rappeler qu’à cette époque les populations avaient peu de distraction. Il n’y avait pas encore la télévision dans cette localité. 
Notre troupe théâtrale représentait la région de Zinder tous les ans au festival de la jeunesse qui réunissait toutes les régions du Niger à Niamey. C’était une grande rencontre d’échange et de fraternité entre les nigériens. C’était le temps de la samaria (mouvement des jeunes). Un mouvement très important et très intéressant.

En 1973 la télévision a envoyé une équipe à Zinder pour filmer une réalisation de Bakabé intitulée ‘si le cavalier…’. Cette équipe de la télévision en a profité pour filmer quelques unes de nos pièces de théâtre telles que ‘Sarki ya hana sabkan bako’, ‘sojan dâ’, etc. A l’époque la télévision ne diffusait qu’à Niamey sur un rayon d’un peu plus de 100 km. Grâce au festival de la jeunesse qui s’était tenu à Dosso au début des années 80 les autorités ont décidé d’étendre la diffusion télévisée sur toute l’étendue du territoire nationale.

En 1984 j’ai été affecté à l’INDRAP au niveau de Niamey. Un an après, par pure coïncidence les autres membres de la troupe ont été aussi transférés à Niamey. Nous étions beaucoup sollicités, nous faisions nos propres activités tout en aidant les autres mouvements de jeunes des quartiers Lacouroussou, Banizounbou et l’Aéroport. Nous avons également joué dans plusieurs localités comme Tillabéri, Téra, Say, Gaya, etc. Un jour, Hama Amadou (actuel président de l’Assemblée), qui était alors le directeur général de la télévision nationale, nous a convoqué pour nous demander si nous pourrions créer une émission humoristique. Il en avait suivit une en Côte d’Ivoire et voulait produire la même chose au Niger. Nous lui avons promis que l’on ferrait mieux que ce qu’il avait vu. Peu de temps après, nous avons sorti un premier sketch appelé ‘crapeau diazz’ qui a rencontré un grand succès au Niger. Le DG était satisfait de nos productions et a débloqué l’argent pour la réalisation de cette émission qui a été appelée ‘détente et sourire’. Elle était diffusée tous les dimanches à la télévision. Le président Seyni Kountché aimait cette émission, ça lui plaisait beaucoup. Quand il partait pour ses voyages il demandait à la télévision d’enregistrer l’émission qu’il regarderait dans sa résidence à son retour. Il nous encourageait sans cesse et de temps en temps il nous donnait des enveloppes. Il nous a beaucoup approché, c’était un homme de culture. Les gens pensaient que le théâtre était fait juste pour la distraction. Le président Kountché, lui, avait compris que c’était un outil pour véhiculer des messages. Pour lui c’était un moyen de combattre certains fléaux comme la délinquance, la corruption, la fraude, etc. Un jour le président Kountché nous a fait venir à la présidence de la République pour parler d’un problème qui le dérangeait. Des anonymes ou lui envoyaient des lettres chaque jour de Zinder pour le calomnier. Pour mettre fin à ça le président a sollicité notre concours. Une semaine après nous avons monté la pièce qui a fini par mettre fin à ce problème. C’était la pièce ‘Hankali da kankou’ (faites attention).Jusqu’à aujourd’hui nous avons produit une centaine de pièces sans compter les sketchs de sensibilisations et ceux de l’émission ‘détentes et sourires.

J’ai également joué dans le film ‘Aube noir’ réalisé par Djingarey Maïga.   Normalement les cinéastes devraient associer les gens qui font du théâtre pour la réalisation de leurs films, mais je ne sais pas pourquoi ce n’est pas appliqué au Niger. Or, pour faire du bon cinéma il faut passer par le théâtre. L’ancien président des Etats-Unis d’Amérique Ronald Reggan jouait du théâtre avant de devenir acteur du cinéma.

Ton regard sur notre théâtre ?
Je vais vous raconter une histoire : Une année la troupe théâtrale de Niamey a joué une pièce en français intitulée ‘Sonni Ali Ber’. Après le passage de cette pièce à la télévision, le président Kountché a fait appel à nous pour qu’on la reprenne en Hausa. Nous l’avons repris avec succès et le président Kountché était très fier de nous. Le jour de la présentation il a invité le président nigérian Ibrahim Babanguida. Plus tard ce dernier nous a invité dans son pays pour jouer cette pièce. La population nigériane aimait beaucoup nos pièces de théâtres. C’est d’ailleurs ça qu’ils sont entrain de nous ramener sous forme de dandali soyéya. C’est un truc qui tant vers le théâtre nigérien et le théâtre hindou, on ne sait même pas ce que ça signifie, c’est du n’importe quoi.

Le fait que les chaines de télévision passent leur temps à diffuser ce genre de réalisation nuit au théâtre nigérien. Ces chaines diffusent au minimum 3 fois dans la journée ce genre de théâtre mais quand nous voulons diffuser nos œuvres, il faut que nous nous déplacions pour aller les supplier. C’est vraiment regrettable. Ces chaines qui sont sensées faire la promotion de la culture nigérienne déçoivent l’ensemble des artistes nigériens. Déçus, plusieurs ont abandonnés leurs carrières. Je ne sais pas pourquoi le nigérien n’aime pas le Niger. Nos dirigeants aussi manquent de politique. La culture ne représente rien aux yeux de nos dirigeants d’aujourd’hui. Exemple : dans chaque spot publicitaire d’un spectacle culturel on entend ‘sous le haut patronage de tel ou tel ministre’ mais ils ne sont jamais là le jour du spectacle.
Le président Kountché lui, faisait le déplacement pour les spectacles culturels. Quand il ne pouvait pas tous les ministres y allaient. Le président Kountché était le seul président qui aimait la culture. De sa mort à nos jours aucun autre ne s’y est intéressé.

Selon toi quelle serait la bonne solution pour la culture nigérienne ?Un retour en arrière de 20 ans. C’est-à-dire revenir à la méthode de la samaria. La grande partie des écoles nigériennes, les différentes MJC et d’autres bâtiments ont été construites par la samaria. Aujourd’hui par exemple qu’on parle d’inondation, si c’était au temps de la samaria, avant l’arrivée des autorités ou des forces de l’ordre et de sécurité, la samaria serait déjà entrain de secourir les victimes. Ces patriotes étaient présents partout dans le pays.

Nos camarades artistes également ont leur part de responsabilité concernant le blocage de notre culture. Nous ne nous aimons pas entre artistes. Nous sommes éparpillés, chacun de son côté. Pour certains la culture s’arrête juste au niveau de la musique ; et pourtant le théâtre à lui seul englobe tout. Dans le théâtre on trouve la musique, la dance, le chant, la mode, la sensibilisation, bref nos traditions. Les nigériens sans exception doivent se mettre en tête que notre culture est notre identité. Je souhaite un changement de mentalité des nigériens. Aujourd’hui par exemple on parle de NIAMEY GNALA, et pourtant le nigérien n’a pas encore fini de jeter les ordures n’importe où, il n’a pas non plus fini de faire ses besoins dans les rues. C’est la faute surtout de l’Etat. 

Fofo Mag

         

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