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Interview Mamane : pour tourner Bienvenue au Gondwana, j’ai inventé un pays qui concentrait à lui seul tous les défauts du continent

Mamane, réalisateur du film "Bienvenue au Gondwana"

Dans un long-métrage intelligent et insolent, Bienvenue au Gondwana, l’humoriste nigérien tire avec le sourire sur les pouvoirs corrompus et renoue à sa manière avec le panafricanisme.

Un « président fondateur » tout-puissant et invisible, une élection très très démocratique, pilotée depuis le palais présidentiel, des observateurs internationaux plus soucieux d’avoir la meilleure suite de l’hôtel que de surveiller le vote, une jeunesse écœurée qui prépare un soulèvement… Bienvenue au Gondwana ! Pour son tout premier film, Mamane s’aventure dans des contrées qu’il connaît bien. Cela fait maintenant plus de sept ans qu’il arpente pour RFI ce pays imaginaire d’Afrique qui concentre le pire du pire du continent, et qu’il en tire des chroniques acides, truffées d’allusions qui ne trompent personne. La radio lui a permis de prendre son envol.

Un projet panafricain 
Après avoir longtemps brillé sur les scènes et les plateaux de télévision français (au Jamel Comedy Club, dans l’émission de Laurent Ruquier On a tout essayé, sur France 2…), le tout juste quinqua veut aujourd’hui s’implanter un peu plus à Abidjan. C’est là qu’il a créé sa société de production, Gondwana City Productions, et son émission pour Canal+ Afrique, Le Parlement du rire… Assemblée drôlement sérieuse dont la devise est : « Loyauté, allégeance, prison ». C’est là aussi qu’il a lancé le festival Abidjan capitale du rire, qui célébrera en décembre sa troisième édition. L’objectif de Mamane ? Créer une sorte « d’internationale des humoristes africains ». Et son film – qui réunit une dizaine de pays dans son casting, son équipe technique, sa bande originale – consacre ce projet panafricain.


Jeune Afrique : La plupart des lecteurs de Jeune Afrique connaissent le Gondwana, pourriez-vous rappeler aux autres ce qui se cache derrière cet étrange pays ?
Mamane : En 2009, RFI m’a contacté pour une chronique quotidienne satirique. J’étais embêté, car je devais m’adresser à un peu plus de 30 millions d’auditeurs. Si je discutais d’un sujet sur le Mali, par exemple, j’avais peur d’ennuyer les Camerounais. J’ai donc inventé un pays qui concentrait à lui seul tous les défauts du continent : corruption, absence de politique en matière d’éducation, de santé, déni de démocratie, trous dans les routes… Le Gondwana était né ! Dès mes premières chroniques, j’ai reçu énormément de courrier. Des Congolais, des Togolais, des Africains de partout m’écrivaient : « Mais vous êtes en train de parler de mon pays ! » J’ai compris qu’on pouvait faire de l’humour panafricain. Depuis, avec les auditeurs, c’est un peu un jeu de piste : quand je fais référence à un problème plus précis, ils essaient de deviner qui je cible.

Huit ans de chroniques, c’est long. Le sujet ne finit-il pas par vous ennuyer ?
Non, car l’actu est toujours là. Pour moi, parler du Gondwana, c’est une sorte de séance psy (rires), je peux évacuer mes colères.

Comment en êtes-vous arrivé à imaginer un film entier sur le sujet ?
Les auditeurs me le réclamaient, j’y pensais depuis longtemps. Ce sont des rencontres, le distributeur Vincent Maraval [société Wild Bunch], les producteurs Éric et Nicolas Altmayer [Mandarin Films], qui ont donné de la réalité au projet. C’est avec eux que j’ai déterminé le fil rouge de mon scénario : l’élection présidentielle, moment clé de la vie politique africaine, suivie par une mission d’observation internationale. 

Votre film fait des clins d’œil à un autre long-métrage récent, Le Crocodile du Botswanga, et l’égratigne au passage. L’un de vos personnages dit par exemple que c’est bien une idée de Blancs que de penser qu’on envoie les opposants aux crocodiles en Afrique.
J’ai beaucoup de respect pour le travail du réalisateur Fabrice Eboué et pour celui du principal acteur de ce film, Thomas N’Gijol. Ils ont fait rire beaucoup de gens. Mais ce sont des Français qui regardent le continent avec leurs yeux de Français. J’en avais aussi assez de voir des longs-métrages africains, faits pour des festivals européens, où l’on filme une pirogue ou un baobab en gros plan pendant dix minutes.
Moi, je voulais ancrer mon film dans le réel, montrer que l’Afrique, ce sont les smartphones, des hackers, une jeunesse qui veut prendre son destin en main. Les révolutionnaires de mon film, les personnages de Betty et de « l’Ingénieur », ont fait de hautes études à l’étranger et ont décidé de rentrer au pays pour changer les choses. C’est aussi un message que j’envoie à la diaspora.

Vous-même vous impliquez de plus en plus en Afrique.
Aujourd’hui, je vis encore entre la France et la Côte d’Ivoire, mais je veux m’installer définitivement à Abidjan dans les mois qui viennent. L’idée, c’est d’inverser les flux, de faire des produits culturels africains en restant sur place, comme beaucoup de musiciens : Youssou Ndour, Salif Keita…
D’ailleurs, comment pourrais-je prétendre faire rire les Africains depuis Paris ? À Abidjan, j’ai aussi monté un festival qui célèbre l’humour. Et cette année nous allons collaborer avec Jamel Debbouze : nous allons nous occuper du gala africain Marrakech du rire, en juin et en juillet, et lui va produire un grand spectacle pour notre événement en décembre. 

Dans le film, on se sent en Afrique, mais aucun indice ne permet de savoir où l’on se trouve précisément…
Tout, à part quelques scènes françaises, a été tourné en Côte d’Ivoire. Si j’avais fait le film dans mon Niger natal, dans le Sahel, le public africain ne s’y serait pas retrouvé… Alors que les paysages d’Abidjan, de Yamoussoukro parlent à tout le monde.

L’État ivoirien vous a-t-il aidé financièrement ?
Oui, il nous a accordé une aide de 150 000 euros. Ce n’est pas énorme sur un budget d’environ 3 millions d’euros [le ministère de la Culture ivoirien parlait d’une prise en charge de 15 % du budget, d’abord évalué à 4 millions d’euros], mais c’est déjà beaucoup. On nous a ouvert toutes les portes : nous avons pu filmer dans des hôtels, des palais luxueux, on nous a même prêté des camions militaires ! La Côte d’Ivoire a prouvé qu’elle pouvait devenir une plateforme de tournage, comme le Maroc, le Nigeria, ou l’Afrique du Sud.

Les acteurs viennent évidemment de Côte d’Ivoire, mais également du Mali, du Sénégal… C’est une volonté politique que vous aviez de mélanger les nationalités ?
Nos dirigeants n’arrivent pas à faire une Union africaine soudée, je voulais prouver que nous, artistes, musiciens, humoristes, nous pouvions montrer l’exemple ! Dans le film, on parle le français, le lingala, le wolof…, mais tout le monde se comprend. L’équipe technique était aussi mélangée, ça n’a jamais compliqué le tournage. Je pense que nous sommes liés. Liés par une histoire commune : l’esclavage, la colonisation, aujourd’hui les coups d’État, les révoltes… Liés aussi par une envie de faire avancer le continent. Je n’ai eu aucun mal à convaincre Tiken Jah Fakoly, par exemple, d’apparaître dans le film : il m’a donné son accord avant même l’écriture du scénario.
La journaliste Pauline Simonet, que j’ai connue lorsqu’elle était à RFI, était tout de suite enthousiaste. Ray Lema, un ami de très longue date, a composé la musique du film devant moi : j’allais chez lui tous les week-ends.

Pour expliquer les maux du continent, le film évoque au moins autant la responsabilité des États africains que celle d’une introuvable communauté internationale.
Oui, mais pour moi les principaux coupables sont nos dirigeants, qui accaparent les richesses, ne construisent pas d’hôpitaux, pas d’écoles… Montrer l’hypocrisie et la complicité de l’Europe, notamment, était un moyen d’impliquer aussi d’autres spectateurs. Aujourd’hui, un film de ce type ne peut pas être viable sans rencontrer le public français et la diaspora.

Pensez-vous que votre long-métrage puisse être interdit ou censuré dans certains pays ?
Oui, je subodore qu’on aura du mal à présenter le film dans tous les pays du Gondwana (rires). Aujourd’hui, de toute façon, avec la diffusion digitale, le problème ne se pose plus. Le film trouvera son chemin pour arriver chez les gens. 

Interview par Par Léo Pajon, Jeune Afrique

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