Niger : interview exclusive du Président Mahamadou Issoufou au journal Marchés Africains.
Décontracté, le président Mahamadou Issoufou n’a éludé aucune question dans cet entretien exclusif accordé à Marchés Africains : renouvellement de son mandat en 2021, installation des bases américaines et européennes, climat social marqué par des grèves de fonctionnaires, menace terroriste, financement de son ambitieux projet de société Renaissance 2, lutte contre la corruption… Bref, le numéro un nigérien a livré sans détour à la fois son sentiment et son analyse.
Marchés Africains : Au lendemain de votre réélection au second tour de la présidentielle avec un score de 92,4 %, pourquoi avoir insisté pour former un gouvernement d’union nationale, au point même d’y intégrer le principal parti de l’opposition, le MNSD ?
Mahamadou Issoufou : Pourquoi j’ai insisté à mettre en place un gouvernement d’union nationale ? La raison est simple : depuis 1999, ayant constaté la fragilité dans laquelle se trouve le Niger, qui a connu une période d’instabilité dans les années 1990, j’ai pensé qu’après chaque élection, le président élu doit rassembler. Il doit rassembler au-delà de son camp, et cela doit se faire pendant cette période que je considère comme étant une période de transition démocratique. Cela est valable pour le Niger et pour beaucoup de pays africains : le rassemblement est nécessaire pendant cette période de transition démocratique. Ensuite, vient s’ajouter à cela le défi sécuritaire que nous connaissons depuis 2011. Vous voyez, le Niger est enfermé dans un triangle de menaces avec au sommet la Libye, le Mali et le bassin du lac Tchad. Pour faire face à ce défi sécuritaire, il faut réaliser une union sacrée de l’ensemble du peuple nigérien. Nous avons également d’autres défis : le défi démographique, le défi du développement économique et social, le défi du changement climatique… Tous ces défis ont besoin d’un rassemblement de l’ensemble du peuple nigérien. Donc, je me réjouis de ce que le MNSD, un parti qui pèse sur la scène nationale, ait accepté la main que j’ai tendue.
Vous êtes, avec le Tchad, un des pays en pointe dans la lutte contre les groupes terroristes Boko Haram, Aqmi, Ançar Dine et Mujao. C’est pour couper leurs bases arrières que la France a installé une base à Madama, que les États-Unis ont déployé des drones à Niamey et vont créer une base à Agadez, et que l’Allemagne va aussi installer une base. Que répondez-vous aux inquiets qui vont jusqu’à qualifier ces bases militaires de « recolonisation du Niger » ?
Oui, je disais tout à l’heure en répondant à votre première question que nous sommes confrontés à ce défi sécuritaire. Vous savez bien que le terrorisme est une menace qui n’a pas de frontières, c’est une menace internationale. Nous sommes confrontés à cette menace à notre frontière avec la Libye, à notre frontière avec le Mali et dans le bassin du lac Tchad. Cela fait trop pour un pays comme le Niger. Du reste, je suis de ceux qui regrettent que les pays africains ne soient pas en mesure de faire face tout seuls à cette menace terroriste après 50 ans d’indépendance. On peut certes déplorer cela. Mais la présence des forces auxquelles vous avez fait allusion est utile pour la sécurité du pays, est utile pour la sécurité de la région, parce qu’avec les moyens d’information, les moyens de renseignement qu’elles ont, elles permettent d’anticiper contre l’ennemi. Donc, comme on dit, nécessité fait loi, et c’est parce que les conditions sont telles que nous sommes obligés de recourir à des pays amis, et nous avons fait cela dans l’intérêt de la sécurité de notre peuple, dans l’intérêt de la sécurité de nos frontières.
Comment appréciez-vous le mouvement d’humeur sur le front social caractérisé par des grèves et des mouvements de protestation ? Courant janvier, le personnel de santé a fait deux jours de grève pour dénoncer entre autres la cherté de la vie, et les enseignants aussi se mettent en grève pour obtenir une amélioration de leurs conditions de vie et de travail. Comment votre gouvernement s’emploie-t-il à désamorcer ces crises sociales ?
Ces manifestations montrent bien que le Niger est un pays libre, que le Niger est un pays démocratique. D’ailleurs, depuis 2011 que nous sommes en place, le Niger, dans le classement de Reporters Sans Frontières, est passé de la 139e à la 52e place. Ainsi, nous progressons dans l’œuvre de construction démocratique, parce que cela fait partie des priorités du programme de Renaissance. Donc, ces manifestations sont la preuve du dynamisme de la vie sociale et politique du pays. Ces manifestations dénoncent la vie chère, mais il n’y a pas la vie chère au Niger. La preuve, c’est que nous sommes un des pays de l’UEMOA qui respecte le critère de 3 % d’inflation, et que nous sommes en dessous de 3 % de taux d’inflation dans le pays, donc on ne peut pas parler de vie chère. Par conséquent, ce sont des revendications qui ne sont pas fondées. Même chose pour les autres revendications, elles ne sont pas toujours fondées, surtout quand on voit les efforts que nous avons faits depuis 2011. Ce sont en effet des efforts énormes qui ont été réalisés pour accroître le pouvoir d’achat des travailleurs, pour créer des emplois pour les citoyens, en particulier les jeunes. Et, pour citer un chiffre, la masse salariale est passée au Niger de moins de 90 milliards en 2010 à plus de 260 milliards aujourd’hui. C’est un effort colossal qui a été fait en quelques années dans le pays. On ne peut pas interdire aux gens de faire des revendications dans le pays, mais la réalité est celle que je viens de vous décrire.
Lancé en 1973 à Paris à l’initiative des présidents nigériens et français Hamani Diori et Georges Pompidou, le sommet Afrique-France réunissait au départ la France et les États africains francophones, puis lusophones et anglophones. Quel est aujourd’hui son utilité alors qu’il existe un sommet Union européenne-Afrique ? C’était aussi le dernier sommet du président François Hollande, avec qui vous avez une proximité idéologique. Allez-vous le regretter ?
Écoutez, le sommet Afrique-France, me semble-t-il, est une rencontre très utile pour la France et pour l’Afrique, pour le peuple français et pour le peuple africain, parce que cela permet, je crois, de renforcer la coopération extrêmement importante qui existe entre la France et l’Afrique, surtout au plan du développement économique et social, pour lequel la France est un pays très important. C’est vrai qu’il y a le sommet Europe-Afrique, mais les deux ne sont pas incompatibles. La situation dans laquelle se trouvent les rapports franco-africains a beaucoup évolué avec le président Hollande qui, dès son arrivée à l’Elysée, s’est fixé pour objectif de combattre les pratiques de ce qu’on appelle la Françafrique : elle est aujourd’hui en voie de disparition, et les rapports entre la France et l’Afrique sont devenus des rapports entre partenaires, des partenaires égaux, des partenaires qui se respectent et cultivent des rapports sans paternalisme, des rapports gagnant-gagnant. Et de ce point de vue, je pense que le président Hollande a rendu service au peuple français et au peuple africain : les rapports sont faits dans l’intérêt des peuples et non pas dans l’intérêt de certains milieux qui, malheureusement, agissent dans leurs propres intérêts contre les intérêts aussi bien du peuple français que du peuple africain.
Après le Burundi, l’Afrique du Sud s’est retirée de la Cour pénale internationale (CPI). En 2014 à Addis Abeba, l’Union africaine avait d’ailleurs promulgué un texte encourageant les pays africains à quitter la CPI à l’instigation du président kenyan Uhuhuru Kenyatta, lui-même un temps poursuivi par la CPI. Quelle est votre position ? Les dirigeants africains doivent-ils être jugés par la CPI ou par les Africains eux-mêmes ?
Alors, l’idéal aurait été que les chefs d’État africains soient jugés par une cour africaine. C’est cela l’idéal, et l’Afrique doit se donner les moyens de la mise en place d’une telle institution à l’échelle du continent. C’est vrai, au dernier sommet de l’Union africaine, il y a eu un débat très animé sur la CPI : il y a des pays qui veulent que le continent, de manière collective, quitte la CPI, et d’autres par contre qui estiment que l’adhésion à la CPI est faite à titre individuel, donc c’est à chacun des pays de prendre ses responsabilités. Mais tout le monde est d’accord sur le fait que le fonctionnement de la CPI doit être amélioré parce que, depuis qu’elle existe, on a comme le sentiment que c’est une cour consacrée uniquement à juger les Africains, alors que dans d’autres régions du monde, il y a eu des crimes contre l’humanité qui n’ont pas fait l’objet de la saisine de la CPI. Donc, quelle que soit la position adoptée par les pays, l’amélioration du fonctionnement de la CPI est indispensable : il faut que cette impression de deux poids, deux mesures, disparaisse.
La liberté, la justice, l’égalité, la solidarité, l’enracinement de la démocratie et l’État de droit garantissant la sécurité sont en partie au cœur de votre projet de société intitulé Programme de Renaissance 2 pour ce deuxième quinquennat. Quel est son coût et comment est-il financé ? Il y a même un ministère de la Renaissance culturelle…
Je dois rappeler qu’il y a eu un Programme de Renaissance 1 de 2011 à 2016. Ce programme était construit autour de huit grandes priorités : la sécurité, la consolidation des institutions démocratiques, les infrastructures, l’Initiative 3N (les Nigériens Nourrissent les Nigériens), l’éducation, la santé, l’accès à l’eau pour les populations et la création d’emplois. Déjà pour la mise en œuvre du Programme de Renaissance 1, nous avions prévu d’investir 6 200 milliards de FCFA : ce programme a été réalisé à la hauteur de 93 % parce que nous avons pu mobiliser et éjecter 5 800 milliards dans la réalisation de ces différentes priorités. Alors, depuis 2016, le Programme de Renaissance 2 reprend les mêmes priorités, mais on a mis en exergue aussi parmi ces priorités la Renaissance culturelle à laquelle vous avez fait allusion. Le programme que nous sommes en train de mettre en œuvre sur cette période 2016- 2021 nécessite des ressources financières à hauteur de 8 800 milliards de FCFA. Nous fondons l’espoir que nous allons pouvoir mobiliser ces ressources là, comme nous l’avons fait pendant le premier quinquennat. Ce sont des ressources qui vont être mobilisées à l’intérieur principalement, mais également à l’extérieur. Nous avons l’espoir de pouvoir réaliser ce programme-là, au moins à la hauteur de ce qui a été fait pendant le premier quinquennat. Vous avez mentionné la question de la renaissance culturelle : oui, c’est une question qui nous paraît importante parce que nous voulons moderniser notre pays. Nous voulons, comme j’ai l’habitude de dire, les trois modernisations : la modernisation sociale, la modernisation politique et la modernisation économique. Donc, pour ces trois modernisations, nous avons besoin de puiser dans nos valeurs traditionnelles et d’emprunter aussi à l’extérieur pour réaliser ce triple objectif de modernisation sociale, politique et économique.
Durant ce deuxième mandat, des actions fortes pour lutter contre la corruption et les détournements de deniers publics vont-elles être lancées ?
Oui, elles sont lancées depuis le premier mandat, ce n’est pas seulement maintenant que nous avons lancé des actions contre la corruption. Rappelez-vous que nous avons mis en place des institutions pour ce faire : d’abord une ligne verte au niveau du ministère de la Justice, ensuite la mise en place de la HALCIA (Haute Autorité de lutte contre la corruption et les infractions assimilées). Tous ces instruments sont des instruments de lutte contre la corruption. Et déjà, pendant le premier mandat, nous avons obtenu des résultats, parce que dans le classement – je reviens encore sur un classement de Transparency International, le Niger est passé du 138e rang en 2010 au 102e rang aujourd’hui. Cela veut dire que nous progressons sur le chemin de la lutte contre la corruption puisque nous avons gagné 33 rangs. Mais ce n’est pas suffisant, parce que mon objectif d’ici 2021 est de positionner le Niger parmi les 50 pays les mieux gérés dans le monde. Certes, on ne sera pas le Danemark, qui est le premier pays en termes de bonne gouvernance, mais on va s’en rapprocher.
En ce moment d’ailleurs, des actions fortes sont entreprises et personne ne sera épargné. Donc, nous allons continuer avec beaucoup de détermination sur ce chemin-là parce que cela rejoint notre objectif de mise en place d’institutions démocratiques fortes, parce qu’avec la lutte contre la corruption, la démocratie aura la force morale que n’ont pas les autres types de régimes. À travers cela, ce sera une manière de mobiliser les ressources et d’améliorer l’efficacité de la dépense. C’est cela aussi l’objectif, parce que quand un pays est corrompu, les ressources fiscales ne sont pas bien mobilisées. Quand un pays est corrompu, les ressources qui entrent dans les caisses de l’État sont mal dépensées. Donc nous, nous agissons sur les deux plans : rétablir ce que j’appelle le monopole fiscal de l’État et améliorer l’efficacité de la dépense.
Le renouvellement des contrats avec la multinationale française du secteur de l’énergie Areva a mobilisé la vigilance d’une partie de l’opinion, notamment des élites et des ONG comme Oxfam France et le Réseau nigérien des organisations pour la transparence et l’analyse budgétaire (ROTAB). Vous souhaitiez que ces discussions se fassent d’égal à égal. Aujourd’hui, êtes-vous satisfait de l’accord passé avec Areva ?
Vous savez, il y a beaucoup d’organisations qui parlent de ce qu’elles ne connaissent pas. Les rapports que nous avons avec Areva sont des rapports de partenariat gagnant-gagnant. Et les négociations que nous avions eues au moment de notre arrivée aux affaires ont abouti à la conclusion d’un accord qui équilibre les intérêts entre nous et Areva. En fait, les gens voient Areva, mais Areva n’est pas le seul actionnaire présent dans les sociétés qui exploitent l’uranium au Niger. Les gens oublient souvent que les Japonais sont présents dans l’exploitation d’uranium au Niger, ainsi que les Espagnols. Souvent d’ailleurs, les gens disent qu’Areva a le monopole de l’exploitation d’uranium au Niger : il n’y a rien de plus faux. Areva n’a pas le monopole, Areva est un actionnaire comme tous les autres, comme le Niger, comme le Japon, comme l’Espagne. Il fut un temps même où il y avait les Allemands et les Italiens qui étaient actionnaires dans les sociétés de production d’uranium. Il fut un temps où les Américains également étaient présents. Donc, nous avons depuis le départ diversifié les partenariats dans le secteur de l’uranium. Par conséquent, l’accord qu’on a conclu est un accord qui sauvegarde bien les intérêts du Niger.
Vous arrive-t-il de penser à changer la Constitution pour briguer un troisième mandat ?
[Rires.] Vous voyez que cela me fait rire. Moi, je pense qu’il faut respecter les Constitutions. Et d’ailleurs, quand je me présentais aux élections, j’avais fait la promesse qu’un de nos objectifs était de consolider l’ordre démocratique et les institutions démocratiques et républicaines dans le pays. Et cela ne peut se faire en détricotant les Constitutions chaque fois. Donc là, je suis en train d’exercer mon dernier mandat et Inch’Allah, en 2021, j’organiserai des élections transparentes et passerai le témoin à celui que les Nigériens auront choisi. Et si j’y arrive, ce serait pour la première fois depuis 1960 qu’il y aurait un passage de témoin de manière pacifique dans le pays. Donc ce serait un événement historique pour le Niger, et j’espère que j’aurai la chance de rentrer dans l’Histoire comme étant le premier président du Niger qui aurait passé, de manière pacifique, le témoin à son successeur.
Propos recueillis par Christian Lapeyre
© Marchés Africains