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M. Habou Boukari, Directeur National des Archives : « Les services des Archives sont les parents pauvres de l’Administration »

Habou Boukari, Directeur des Archives Nationales du Niger

Monsieur le Directeur national, le Niger dispose depuis des décennies d’un service dénommé Archives Nationales, quelles sont concrètement les missions et attributions de cette structure qui constitue quand même la mémoire de notre pays ?
Aux termes de l’article 10 de l’arrêté n° 260/PM/SGG du 17 Octobre 2011, la Direction des Archives Nationales est chargée de l’identification, de la collecte, du classement et de la conservation des documents de toute nature des différentes Administrations de l’Etat ainsi que ceux de tous les Etablissements Publics de l’Etat ; la communication des documents conformément à la législation archivistique en vigueur ; la gestion d’un centre de documentation ouvert au public ; la gestion de la régie du dépôt légal ; la réception sous forme de dons ou de dépôts des archives des institutions ou personnes privées ; l’application des règles de gestion et de conservation des archives des services publics sur l’ensemble du territoire national ; la valorisation des fonds d’archives conservés dans les dépôts publics.

L’histoire des archives au Niger a connu une évolution au fil des années : pouvez-vous nous retracer le processus de son ancrage dans l’administration nigérienne ?
Avant d’aborder la question de l’évolution ou de l’ancrage de la fonction « archives » dans l’administration nigérienne, il est nécessaire de rappeler la raison du prestige des archives. En effet, la gestion des archives a été prise en compte suite aux assises de l’Assemblée Nationale Française du 19 Novembre 1907 au cours desquelles Monsieur Louis PUECH dénonçait la situation en ces termes : « … il ne me semble pas qu’il y ait beaucoup d’originaux dans les dossiers des colonies. Les originaux sont pris d’une sorte de danse de Saint-Guy ; ils traversent l’océan avec une inexplicable facilité et circulent partout ailleurs que dans les endroits où on devrait les tenir… ». Pour donner suite à cette interpellation, le ministre des Colonies de l’AOF a instruit, par circulaire du 21 Décembre 1907, les Gouverneurs de ces colonies au sujet de la surveillance à exercer sur les archives des différents services afin de remédier une situation aussi préjudiciable aux intérêts administratifs qu’à la bonne marche des services publics.
Ainsi, le 13 Janvier 1908, une circulaire du Gouverneur Général de l’AOF par intérim a été adressée aux Gouverneurs des Colonies avec l’annotation : « … à transmettre aux colonies par lettre les invitant à organiser la conservation des archives, et à leurs gouvernements, et dans les services, et plus particulièrement encore dans les cercles… ». A partir de ces instructions, l’administration coloniale a lancé la création des Services d’Archives dans toutes les colonies. Le repère chronologique ci-après retrace les grandes dates de la vie des archives : Arrêté n° 960 du 1er Juillet 1913, portant création d’un dépôt d’Archives au chef-lieu de chacune des colonies de l’Afrique Occidentale Française (AOF). Le volet « archives » est rattaché au Cabinet du Lieutenant Gouverneur. La Circulaire du Gouvernement Général de l’AOF en date du 4 Juillet 1913, en s’adressant au Gouverneur du Territoire Militaire du Niger, disait ceci : « … je ne puis songer à créer, au chef-lieu de votre commandement, un bureau d’Archives autonome comme dans les autres colonies, mais je désire que vous vous inspiriez, dans la mesure du possible, de la nouvelle réglementation pour la constitution de vos Archives… ». L’Arrêté n° 22 du 10 Février 1924, constituant les services de la colonie du Niger : pour la première fois, les Archives sont apparues dans l’organigramme des services du Cabinet du Lieutenant Gouverneur du Niger sous la dénomination «… Archives, Classement des archives et publications officielles… ». Le Service des Archives est donc rattaché à la deuxième section du Cabinet du Lieutenant Gouverneur. Par ailleurs, la décision n° 129 du 14 Mars 1928, portant nomination de Monsieur TOBY, administrateur adjoint de 1ère classe des colonies, en qualité de Chef de Cabinet du Lieutenant Gouverneur du Niger. En outre, il est chargé des fonctions de Secrétaire-archiviste du Conseil de Contentieux et du Conseil d’Administration ; classement des archives et publications officielles, du répertoire des textes officiels, de la bibliothèque administrative, de la centralisation et du classement des publications de toute nature, des recherches bibliographiques et de la garde du timbre. Arrêté du 20 Juin 1930 rattachant à l’Inspection Générale de l’Enseignement le volet « archives historiques » résultant de la collecte des documents d’intérêt administratif et historique. Il y a aussi la circulaire n° 150/AI du Gouverneur par intérim du Niger en date du 27 Juillet 1938 ; l’extrait ci-après de cette circulaire illustre parfaitement l’intérêt et l’ancrage de la fonction « archives » dans l’administration nigérienne : « il n’échappera à personne que la période de la conquête et de la grande guerre est, pour l’histoire du Niger français, d’une importance capitale. Dans chaque Poste ou ancien Poste de brousse, dans chaque Service militaire, administratif, judiciaire ou technique se trouvent des documents illustrant l’histoire de ces 20 années de gloire et d’efforts français. Ces témoignages sans utilisation immédiate dorment relégués, faute de place, dans le fond de vieilles armoires où le temps et les termites se conjuguent pour les faire disparaître. Il a donc été établi à Niamey un Dépôt et un Service d’Archives qui centralisera, classera et conservera tous les documents versés par les Cercles conformément aux prescriptions de la circulaire générale du 2 Juillet 1913 toujours en vigueur. »
A tous ceux que nous venons de citer viennent s’ajouter d’autres arrêtés : il s’agit de l’Arrêté Général n° 2781/IFAN du 3 Août 1943 rattachant les Archives et Bibliothèques aux centres locaux de l’IFAN ; arrêté local n° 122/APA du 21 Octobre 1943 rattachant les Archives du Niger à l’IFAN de Niamey ; arrêté n° 0722/APA du 21 octobre 1944 rattachant les Archives et Bibliothèques au Centre Local de l’IFAN ; arrêté général n° 5065/IFAN du 9 Juillet 1953, portant règlement général des archives de l’AOF. Il stipule à son article 1er : « … un dépôt d’Archives est établi au Gouvernement Général à Dakar et au chef-lieu de chacun des territoires de l’AOF… ». Le décret n° 60-105/PCM du 31 mai 1960, portant organisation du Secrétariat Général du Gouvernement. Il faut noter que ce texte ne mentionne nulle part le Service des Archives. Décret n° 74-248/PCMS/SGG du 17 septembre 1974, portant organisation du Secrétariat Général du Gouvernement dont relève le Service des Archives Nationales, décret n° 88-190/PCMS/SGG du 11 mai 1988, portant réorganisation du Secrétariat Général du Gouvernement et érigeant le Service des Archives en Direction des Archives Nationales. De 1913 à nos jours, la tutelle administrative des Archives a été successivement exercée par le Cabinet du Lieutenant gouverneur, l’Inspection Générale de l’Enseignement, l’Institut Français d’Afrique Noire (IFAN), la Présidence de la République et le Cabinet du Premier Ministre.

Il se pose aujourd’hui dans plusieurs services de l’administration nigérienne un réel problème d’entretien des archives : selon vous, qu’est-ce qui explique cette mauvaise gestion de notre histoire ?
La mauvaise gestion des archives dans l’administration publique nigérienne se situe à plusieurs niveaux. Au niveau architectural, la plupart des Services d’Archives ne disposent pas d’un local approprié pour les Archives. Au niveau des ressources humaines, près de 80 % des Services d’Archives sont dirigés par des responsables non professionnels du domaine des Sciences de l’Information Documentaire (Archivistes, Bibliothécaires et Documentalistes). Il faut aussi souligner l’attentisme, l’inactivisme et le manque d’offensive de certains professionnels des archives. Au niveau des ressources financières, les Services des Archives sont les parents pauvres de l’administration (budget très insignifiant voire inexistant pour d’autres unités documentaires). Au niveau du matériel et équipement technique, rares sont les Services d’Archives publiques dotés de matériel et équipement technique propres au domaine des archives. Au niveau de la corporation, je veux parler de l’Association Nigérienne des Spécialistes de l’Information Documentaire (ASNID), elle brille par son inactivisme et un silence coupable vis-à-vis de ses membres. Pourtant, cette association a le devoir d’assurer la promotion et la valorisation de la profession.

Dans un monde où les pays sont en compétition, la connaissance et la maîtrise du passé d’un pays sont capitales : est-ce qu’il existe au Niger une politique nationale en matière d’archives ? Si oui, pouvez-vous nous l’expliquez ?
En tant que telle, la politique nationale en matière d’archives n’existe pas. Néanmoins, la question des archives est toujours prise en compte dans les actions du Gouvernement de la République du Niger. Pour preuve, tous les départements ministériels ont été dotés des Services d’Archives et de Documentation. A cela s’ajoutent les Services d’Archives Régionales et Départementales. Entre autres efforts, sur le plan national, des études ont été menées afin de dégager une politique nationale en matière de la documentation administrative. A titre d’exemple, nous pouvons citer : ARES, Florance – Développement des archives nigériennes. – Niamey : PNUD, 1991. – 39 P. GUERTIN, Hélène. – Les archives publiques courantes en Afrique Occidentale Française (AOF) : cas du Niger. – Québec : Université de Montréal, 1994. – 11 P. LEGER, Denis, GARBA, Issaka. – La situation de la documentation administrative : Etude diagnostique dans l’administration centrale. Niamey : BOM, 199O. – 61 P. NIGER. Cabinet du Premier Ministre. Etude préparatoire à l’élaboration d’une politique nationale de développement des Archives, Bibliothèques et des Centres de Documentation. – Niamey : BOM, 1990. 25 P NIGER. Cabinet du Premier Ministre. – Les résultats des travaux du séminaire sur la formation d’une politique nationale d’information documentaire au Niger.Niamey : BOM, 1992. – 115 P.
Aussi, le Niger dispose d’un arsenal de textes législatifs et réglementaires en matière de documentation, notamment : Loi n°97-021 du 30 juin 1997 sur les archives ; loi n°97-022 du 30 juin 1997 relative à la protection, la conservation et la mise en valeur du patrimoine culturel national ; décret n° 98-91/PRN/SGG du 6 avril 1998, portant modalités d’application de la loi n° 97-021 du 30 juin 197 sur les archives ; ordonnance n° 2010-35 du 4 juin 2010, portant régime de la liberté de presse (art. 9 relatif au dépôt légal des publications périodiques) ; ordonnance n° 2011-22 du 23 février 2011, portant Charte d’Accès à l’Information Publique et aux Documents Administratifs ; loi n°2017-28 du 3 mai 2017 relative à la protection des données à caractère personnel, etc.

Récemment, le ministère des Finances a organisé un atelier de validation de sa politique d’archivage qui s’inscrit dans une stratégie globale de communication. Quelle est la pertinence d’un tel document ?
Le document en question est une feuille de route sectorielle en matière de la gestion des archives. Il détermine de manière claire la procédure à suivre par les services producteurs des documents et les archivistes en matière de la gestion des documents (collecte, traitement, conservation, communication et la valorisation des archives). C’est une initiative louable dont les autres ministères doivent s’inspirer. Ce qui permettra à la fin d’élaborer une politique nationale d’archives digne de ce nom.

Quelles sont les perspectives en matière d’archives pour un pays comme le nôtre qui est en train de tracer sa trajectoire de développement économique, culturel et social ?
Les perspectives sont prometteuses vu l’engagement de l’Etat dans sa politique de dotation du pays en infrastructures d’archives. En plus des directions régionales, toutes opérationnelles, des services départementaux sont aussi créés et attendent actuellement d’être installés. Ils sont créés à partir des anciens arrondissements et postes administratifs érigés en départements qui sont aujourd’hui au nombre de 63. Ces anciens arrondissements et postes administratifs érigés en départements se trouvent dans les régions d’Agadez, Diffa, Dosso, Maradi, Tahoua, Tillabéry et Zinder. Il faut compter également avec la détermination des responsables des Archives Régionales qui mettent des bouchées doubles pour sauver le maximum possible d’archives historiques. Cependant, il reste beaucoup à faire, car seules trois directions sur les huit disposent de leurs propres bâtiments. A cela s’ajoute le cas des Service d’Archives Départementales.

ONEP – Interview réalisée par Hassane Daouda

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